Bonjour Juliette, reparlons de votre concert à l’Olympia, c’était un moment assez particulier pour vous ?
Ah oui, oui ! C’était génial. J’avais les chocottes mais c’était totalement émouvant. C’était dur, d’ailleurs, de tenir émotionnellement, d’aller au bout parce que vraiment c’était très prenant. Je ne m’attendais pas à ce que soit aussi super, en fait, que ce soit aussi chaleureux, fiévreux. Les deux soir étaient très différents. C’est gravé ad vitam. C’était un moment totalement idyllique.
Comment l’expliquez-vous ?
Comment je l’explique ? Je n’en ai aucune idée. Je pense que le public était là, hyper actif, très généreux. Parce que dans un concert on a toujours tendance à croire que c’est nous les artistes qui sommes responsables d’un concert mais en fait, non ! Il n’y a pas que nous, il y aussi le public. Donc quand un public est bon, le concert est bon aussi. Il y avait du désir, les deux désirs se sont rencontrés : le nôtre et le leur. C’a fait un truc orgasmique (rires de Juliette). Non vraiment, c’était super !
Ça vous a mis une certaine pression pour ce soir du coup, peut-être ? Il va falloir qu’il soit qu’il soit aussi bon !
Non mais je pense que le public de ce soir pour voir aussi Catherine Ringer et Véronique Sanson. Donc voilà, moi je viens ouvrir le bal quoi, ce n’est pas du tout la même configuration. Mais oui, je compte sur le public pour être à la hauteur des événements.
Est-il possible de trouver le rythme d’une tournée, d’enchaîner les concerts ?
Je trouve que c’est fatigant mais c’est tellement exaltant, je ne sais pas, il y a quelque chose, comme un athlète : on creuse profondément dans les chansons, dans les mélodies, on se perfectionne techniquement. Donc il y a aussi énormément d’exaltation à prendre de la maîtrise par rapport à des choses qui, au tout début, pouvaient être instinctifs. Voilà, on creuse le sillon de quelque chose qui à la base était très naïf et j’espère que l’on n’y perd pas quelque chose, je ne crois pas. On est crevé mais en même temps c’est totalement addictif. C’est-à-dire que quand on rentre chez soi on se dit « Bon, qu’est-ce qu’on fait ? Qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce qu’il se passe ? » Je suis presque déjà dans la nostalgie de ce qui a lieu maintenant en me disant « Ah, bientôt ça s’arrêtera, cette première fois, cette grande première fois, cette première tournée, ces premières émotions-là. » Je ne sais pas si je les trouverai comme ça aussi intactes un jour. Oui c’est triste ce que je dis. Je suis presque un peu nostalgique mais en tout cas il y a quelque chose qui rend vivant d’une manière assez rare, je crois. Enfin je le vis comme ça.
Vous avez joué à Bourges il y a trois ans déjà, il a une place à part pour vous ce festival ?
Oui, parce que je me souviens, à Bourges, il y a donc trois ans, d’avoir fait la première partie de Juliette Gréco. Et puis je me rappelle très bien des balances, du coup c’était Juliette Gréco qui je crois avait presque 90 ans. Je la revois avec ses prompteurs et tout, et puis je me dis « Bon quand même, faut arrêter quand on est vieux… » Je joue, bon sans commentaire ce n’était pas terrible. Et je vais la voir, et là je me suis pris la claque de ma vie, elle était drôle, sexy, insolente, tout le monde pleurait… Et puis elle s’évanouissait toutes les quatre minutes du coup il y avait un truc complètement… voilà ! Et puis je me suis dit que si un jour, à cet âge-là, j’arrive à avoir cette émotion, à transmettre ça avec des gens mais j’aurais réussi un truc de dingue, de vie d’artiste quoi. Donc je me suis pris une énorme claque en arrivant à Bourges il y a trois ans parce que je me suis dit que si à 90 ans j’arrive à chanter comme Juliette Gréco, j’aurais réussi quelque chose de profondément rare. Je suis large, j’ai que 34 ans quand même !
Pour revenir à Bourges, vous partagez la scène avec justement Catherine Ringer, Véronique Sanson, qu’est-ce que cela vous fait ? Vous êtes impatiente à quelques heures du concert ?
Je suis très intimidée parce que ce n’est pas comme si je jouais, en plus, avec des gens de ma génération comme l’Impératrice, Clara Luciani qui sont des amies etc. Là c’est un line up qui est écrasant, et en même temps qui est très, comment dirais-je… je suis très honorée d’ouvrir pour ces femmes qui sont des piliers de la chanson française, que j’admire d’ailleurs pour des raisons très différentes toutes les deux. Mais oui c’est très intimidant, complètement même.
L’HISTOIRE D’UNE VIE D’ARTISTE, C’EST D’AVOIR COMME ÇA DES CHOSES À RACONTER SUR SOI, SUR LE MONDE, TOUTE UNE VIE. CE N’EST PAS DONNÉ À TOUT LE MONDE.
Qu’est-ce qu’il y a à piocher de ces deux femmes ?
La tresse de Catherine Ringer, les mains de Véronique Sanson. Non, ce qu’il y a à absolument piocher c’est le feu ! Elles ont ça en commun, d’être flamboyantes, d’être très libres je trouve dans leur art. Et puis d’avoir encore des choses à dire parce que parfois on a des choses à dire une fois ou deux mais pas toute la vie. Donc c’est ça l’histoire d’une vie d’artiste, c’est d’avoir comme ça des choses à raconter sur soi, sur le monde, toute une vie. Ce n’est pas donné à tout le monde. Ce n’est pas sûr que dans 15 ans j’ai encore des trucs à dire. Donc ça ça me fascine, ça m’interpelle, de garder cette envie de se raconter et cette faculté à ce que les autres aient encore envie qu’on leur raconte quelque chose. C’est assez rare, quoi.
Sur la réédition de l’album il y a eu quatre ajouts, avec différentes interprétations, mais est-ce que du coup il a fallu faire des choix ? Est-ce qu’il y en avait d’autres ?
Oui, il y en avait d’autres mais il y a toujours des chansons qu’on garde un peu pour soi, et qui ont une autre forme de vie. Mais oui c’est toujours dur… de toute façon c’est très dur de choisir. Mais il y a des évidences quand même, il y a certaines chansons qui s’imposent. Et puis surtout les jouer en live, d’un seul coup cela m’a donné vraiment envie de les partager sur le disque. C’a été assez clair.
Qu’est-ce qui est le plus gratifiant selon vous ?
Les bonbons dans les loges ? Le plus gratifiant… Bah le plus gratifiant c’est… c’est tellement bouleversant quand il y a des gens qui chantent ce que l’on a écrit tout seul en pyjama, déprimé. De sentir que ce que l’on a pu ressentir puisse être ressenti par d’autres. C’est-à-dire que ce trajet intérieur là il puisse traverser d’autres êtres que soi. C’est incroyable, incroyable…
Nous notons que vos chansons sont délicates et émotives…
SI L’ÉMOTION PASSE CELA DEVIENT QUELQUE CHOSE DE TOTALEMENT INTEMPOREL.
Est-ce que pour vous justement ce n’est pas le plus important dans vos chansons ? L’émotion ?
Oui, en tout cas qu’elles suscitent de l’émotion. Parce que d’abord on compose pour soi-même. On compose pour se faire rire, pour se faire pleurer, pour que quelque chose de soi exulte, sorte, vive. Donc on est son premier spectateur, l’émotion elle se vit en soi-même. Mais si elle arrive à atteindre quelqu’un d’autre que soi, que les paroles soient mal ou bien écrites, que le visuel soit réussi ou pas, que la musique soit bien arrangée… si l’émotion passe cela devient quelque chose de totalement intemporel. On peut écouter du Barbara toute sa vie sans se poser la question de modernité car l’émotion est tellement là qu’elle traverse les âges. Ça c’est le truc magique, absolument irrationnel, inexplicable, c’est l’émotion, ça ne s’explique pas. Donc si cela passe, c’est réussi.
POUR MOI LE FÉMINISME CE N’EST PAS UNE GUERRE,
Le Printemps de Bourges met à l’honneur les femmes cette année avec une programmation paritaire, est-ce que vous vous dites qu’il était temps ?
Oui ! Bien sûr il était temps. C’est un peu volontariste comme démarche de se dire que l’on ne va mettre que des femmes etc. Et en même temps si on doit en passer par là je suis complètement pour. Evidemment dans le meilleur des mondes on a tous envie d’une programmation éclectique, sans se poser la question des sexes. Mais j’ai l’impression que la question des sexes elle se pose, la question de l’égalité quoi qu’il arrive elle se pose de manière plus ou moins brûlante. Oui, je trouve ça très bien. Cela remet les pendules à l’heure un peu pour tout le monde. Si ça ne suscite pas de guerre de sexe, tant mieux. Parce que pour moi le féminisme ce n’est pas une guerre, mais cela doit être une prise de conscience de ce que c’est la question d’égalité à la fois pour les hommes et pour les femmes parce que je pense que les hommes et les femmes ont autant à gagner dans cette histoire. Mais oui c’est bien, c’est nécessaire d’en passer par là. Faites que dans quelques années on ne se pose plus ce genre de question.
On vous présente parfois comme le renouveau, la relève de la chanson féminine, à textes etc. Ça vous fatigue, vous pèse un peu cette étiquette ou vous la prenez, vous l’assumez ? Elle vous fait plaisir ?
Ah oui, moi je suis flattée d’être le renouveau. Je vois mal comment je pourrais m’en offusquer !
C’est une case.
Oui mais tout est dans une case, toujours. Même, l’intérêt d’une carrière d’artiste c’est de faire exploser doucement ces cases-là, qu’on ne se pose plus la question de qui est Catherine Ringer et à qui elle ressemble. Bon, peut-être qu’un jour on ne se posera plus cette question-là. Pour le moment on se la pose et si elle permet aux gens d’identifier quelque chose et de s’attacher à un projet ça ne me gêne pas du tout.
Michel Berger disait que si ses chansons ne marchaient pas au bout de cinq minutes pendant qu’il était en train de composer, s’ils ne les sentaient alors elles ne marcheraient jamais.
C’est vrai !
Pendant vos compositions, comment cela se passe-t-il ?
C’est très rapide de composer une bonne chanson. On sait assez rapidement si cela vaut le coup ou pas. Il y a certaines chansons que l’on continue de composer un peu pour se laisser rêver, pour se faire du bien parce que c’est agréable mais une bonne chanson ça se compose très vite. Ça va hyper vite. Après on peut peaufiner, on en rêve, on revient dessus. Bon, cinq minutes il est dur Michel, parce que c’est rapide. Mais je pense que deux, trois jours maximum, si cela ne vient c’est que quelque chose de trop important résiste. Il doit y avoir quelque chose d’un peu fulgurant, et d’ailleurs presque quelque chose qui nous échappe. C’est Etienne Daho qui disait qu’on ne se souvient plus comment on a composé, qu’il y a une sorte d’amnésie après que l’on ait composé une chanson. On se dit « Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ? » Donc cela doit être un peu fulgurant.
Quel est votre endroit de prédilection pour les réflexions ? La salle de bains ? Les WC ?…
J’aime profondément être dans mon lit, j’y passe énormément de temps. J’y ai installé un petit bureau, dans mon lit, un peu comme Sarah Bernard. Non, j’aime bien être dans mon lit, je trouve que c’est assez reposant. Voilà, l’horizontalité.
Par rapport au clip de « L’Indien », quel rôle avez-vous eu dedans ? Est-ce que vous avez eu un regard sur le clip ? Est-ce que vous avez laissé travailler les autres autour de votre chanson ? Comment cela s’est-il passé ?
Alors j’ai travaillé avec quelqu’un qui est un super musicien, qui s’appelle Moodoïd, qui va sortir un nouvel album, qui a 24 ans, qui sait absolument tout faire dans la vie : des clips de la musique… Et qui avait fait le clip de « Manque d’amour ». Je lui ai confié ce clip de « L’Indien » et il m’a tout de suite parlé de cette espèce de flèche géante et je lui ai fait complètement confiance parce que visuellement on se comprend très vite et très bien. Cela m’amusait cette histoire. Oui, je lui ai laissé complètement les manettes. Mais c’est dur de faire confiance à quelqu’un pour son image. Surtout les clips, c’est un peu des trompe-l’œil, si un clip est mauvais ça peut venir complètement cacher une chanson. Je me méfie des clips. Et je trouve qu’il a réussi à faire un truc qui est drôle et qui ne masque pas la chanson du tout.
L’an dernier au 22, je crois une de vos premières dates avec votre groupe, depuis il s’est passé pas mal de choses. Est-ce qu’aujourd’hui vous prenez autant de plaisir avec un piano-voix devant un public réduit qu’à être front-girl avec le groupe derrière ? Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre les deux ?
L’équilibre est assez naturel. Moi de toute façon j’avais déjà fait deux ans de tournée toute seule piano-voix et il y avait un petit peu un rêve un peu « Mnouchkinien », de troupe, de partager avec d’autres personnes une vie de tournée. Donc cela m’a vachement épanouie d’avoir un groupe, de pouvoir échanger musicalement, de chercher d’autres trucs. Cela m’a même amenée dans d’autres territoires que je ne connaissais pas. Et je me suis levée de mon piano, je danse (bon je danse n’importe comment) mais je danse. Donc il y aussi un truc un peu cathartique, physique, charnel. Et je peux faire confiance à d’autres que moi pour assurer la musique, et sortir un peu du rapport purement musical et être dans un rapport plus physique. Ca c’est un truc que j’adore complètement. Transpirer, c’est super quoi ! Après le piano-voix reste le terrain de prédilection absolu et même les piano-voix toute seule, ça reste le truc que j’adore faire aussi. Donc j’ai le choix du roi, je suis plutôt contente, j’ai les deux.
JE RESTE UNE ÉTERNELLE MÉLANCOLIQUE
Il y a un an il y a eu une Victoire de la musique, il y a eu un disque d’or et pas mal de choses. Comment on fait pour continuer de déprimer dans son lit à écrire des chansons quand on a reçu autant d’amour en un an ?
J’ai une nature terrible haha ! On n’est plus déprimé non… On est dans l’action, dans l’exaltation de faire vivre quelque chose, d’emmener un truc très ténébreux à un truc lumineux. Et cela ça tient, ça tient vraiment vivant. Mais je reste une éternelle mélancolique, c’est inscrit dans mon code génétique donc je ne me fais pas trop peur. La tristesse ne me quittera jamais vraiment, malheureusement.
Vous avez eu le temps d’écrire de nouvelles chansons pour la tournée ?
Pas tellement, j’en ai écrit une nouvelle que je joue justement dans le set. Je ne la jouerai pas ce soir car nous sommes en set réduit en festival. Mais j’en ai écrit une, mais je ne sais pas, justement, puisque je suis une nostalgique, enfin plutôt une mélancolique, je ne cherche pas trop à me projeter dans le futur. Là ce disque j’ai envie de le vivre complètement jusqu’au bout, de l’essorer, d’aller au bout de toutes ces émotions. Donc je ne me projette pas vraiment, je suis à fond dans la tournée, je suis concentrée là-dessus, je suis concentrée sur les chansons car j’ai encore un chemin avec elles. J’ai du mal à me dire de passer à autre chose. Donc je ne compose pas trop.
Pouvez-vous nous parler de la bande originale du film « 50 Nuances plus claires », et comment cela s’est-il passé ?
Oui ! J’ai pris un avion pour aller comme ça aux Etats-Unis et j’ai fait cette collaboration, avec ce groupe Marianne Hill, avec cette jeune femme Samantha. Il fallait adapter sa chanson à elle en anglais. Du coup j’ai une espèce d’exercice d’adaptation du texte. Ce n’était pas très facile car très rythmé, américain, il fallait trouver comment mettre un truc français là-dedans. Et puis elle a une oreille incroyable cette nana. Elle a pris le texte et elle s’est mis à le chanter d’une manière complètement limpide. Voilà, nous nous sommes retrouvées dans ce studio à Los Angeles à enregistrer des chansons, enfin cette chanson, et à faire un duo. Ensuite nous avons mangé des glaces à Venice Beach et je suis rentrée chez moi.
Propos recueillis par Eléna Pougin, Ninon Soulié, Clara Hampe & Zoé Gazerian lors du Printemps de Bourges.
Crédit photo : Erwan Fichou / Théo Mercier
Remerciement à Alizée Michaud et Romain Feron pour la retranscription 😉